15 Mars 2020
Pour soutenir La librairie Violette and co qui, comme beaucoup de lieux recevant du public, de magasins… est momentanément fermée, vous pouvez leur commander directement vos livres sur leur site : http://www.violetteandco.com/librairie/
Elles nous ont raconté l'histoire de la librairie, leur histoire, publiée le 29 janvier 2012 dans Re-Belles 40 ans du MLF.
Le 1er janvier 2012 à Donnemarie Dontilly avec Catherine Florian et Christine Lemoine, fondatrices de la librairie Violette and co, Oristelle Bonis, éditions iXe, Cathy Bernheim écrivain, blog Re-Belles et association 40 ans de mouvement, M. Revel, blog Re-Belles et association 40 ans de mouvement. Au lendemain d’un beau réveillon, réunies au coin du feu, écrivain, libraires, éditrice, blogueuses, décident de parler et croiser leurs regards sur leurs engagements littéraires, intellectuels et féministes.
Photo Laurence Prat.
Michèle : Qu’est-ce qui vous a pris de créer une librairie ?
Catherine : Il y a plusieurs versions.
Michèle, Cathy, Oristelle : On veut toutes les versions…
Catherine : Pendant 20 ans j’étais fonctionnaire, cadre administratif. J’avais envie de faire autre chose. Et surtout de faire correspondre mes centres d’intérêt et ma profession, qui étaient fort éloignés. Alors, il se trouve qu’une librairie qui était dans le Marais, rue Quincampoix, que nous apprécions beaucoup, a fermé. Elle s’appelait La pause lecture. C’était une librairie LGBT mais contrairement à la très belle librairie Les mots à la bouche, il y avait plus de filles. C’était en 2003, et moi j’étais à un tournant professionnel… On s’est dit pourquoi pas ouvrir une librairie ?
Il ne restait qu’une seule librairie LGBT, il devait y avoir la place pour autre chose. Il n’y avait plus de librairie féministe. Très vite le projet de faire une librairie LGBT-lesbienne ET féministe s’est solidifié.
J’ai une formation d’histoire mais aussi de droit, de gestion, de compta. Car créer une librairie, c’est créer une entreprise. J’ai fait des stages en librairie et à l’INFL, institut de formation à la librairie, à Montreuil. Après, on s’est lancées : la recherche du local, les banques… Il faut avoir un apport : on mis nos réserves personnelles… C’est 50/50. Les banques ne prêtent que l’équivalent de ce que l’on a. Donc si t’as rien c’est même pas la peine…
Ce qui a aidé beaucoup au départ et cela n’aurait pas pris comme ça sans cela, c’est le réseau, nos connaissances associatives et engagées. On avait fait un site déjà avant l’ouverture de la librairie. On a ouvert en février 2004, juste un an après l’idée.
Michèle : Cela ne vous faisait pas peur une librairie ? C’est actuellement un métier difficile… Vous auriez pu ouvrir autre chose… un lieu convivial, un restaurant !
Catherine : Ah non non non ! c’était impossible ! des livres ou rien ! Un restaurant, même féministe, je ne pouvais pas l’ouvrir. Impossible… Faire se rencontrer des centres d’intérêt… c’était d’abord parce que c’était une librairie.
D’abord la librairie, c’est ce que dit Christine : que j’aurais pu ouvrir une librairie généraliste et ce n’est pas faux. Christine non. C’est une différence entre Christine et moi. Les livres ça ne me fait pas peur, je les aime, c’est quelque chose que je pratique, avec quoi je suis à l’aise… Un restaurant je n’aurais pas été à l’aise du tout. Et les livres ce n’est pas que l’engagement politique…
Christine : Pour moi il était important que ce soit une librairie engagée. J’ai vécu 15 ans en dehors de France, au Québec, en Équateur, en République Dominicaine, je ne lisais pratiquement plus de livres français… Donc il y avait aussi un problème de culture générale avec les livres. Quand je suis revenue, j’avais 35 ans. Ce qui était important pour moi, c’était d’ouvrir une librairie lesbienne, gay, féministe… Depuis je ne sais plus quel âge, j’ai toujours été féministe. La première fois que j’étais dans un groupe c’était au MLAC, “on ne naît pas féministe“… Oui oui j’étais devenue féministe ! J’avais 19 ans et j’avais essayé d’aller à la Librairie des femmes…
Donc après l’étranger, j’ai travaillé pendant 12 ans dans ce secteur des films en formats très spéciaux (cinéma) et je n’avais plus de boulot. J’avais été employée à mi-temps par les éditions gay et lesbienne à la diffusion et distribution car j’avais coordonné un livre, Attirances, alors on m’a proposé ce travail. Cela m’a fait connaître le milieu de la librairie, que je ne connaissais pas du tout.
Et puis j’avais 47 - 48 ans et je me suis dit qu’il fallait que je crée mon boulot.
Il y a eu la fermeture de la librairie La pause lecture et on a commencé a avoir l’idée de la librairie.
On en a discuté avec des amis proches. Deux autres personnes s’étaient investies dans le projet mais ont arrêté après l’ouverture pour continuer leur projets personnels, car nous travaillions tous ailleurs et c’était compliqué.
Pour moi c’était ouvrir une librairie engagée qui m’intéressait, pas militante car ce n’est pas le terme que j’emploie pour ce projet là, mais une librairie engagée. Une librairie, c’est toujours un vieux rêve pour plein de monde. Chaque fois que j’allais dans une ville étrangère, je cherchais la librairie, et il y avait toujours en plus des annonces sur ce qu’il se passait dans la ville, sentir le pouls de la ville… J’ai donc continué a travailler à mi-temps mais cela devenait compliqué. Puis Anne Marie (avec qui je travaillais dans l’édition) à décidée de prendre un distributeur et ça s’est arrêtée.
Donc c’était à la fois créer ce lieu et créer mon boulot et c’était clair que de toute façon, c’était pour essayer d’en vivre.
J’avais travaillé à Lesbia, à Cineffable, et donc on a commencé à en parler, à faire savoir qu’il y avait une projet de librairie. Puis il y a eu un Forum social et une Journée pour les femmes en septembre : on a diffusé l’information sans donner l’adresse car le bail n’était pas signé. On a signé le bail le 31 décembre et le 1er janvier on commençait à nettoyer. (Cathy : Ben voilà c’est ça qu’on fête ! ) Avant, c’était déjà une librairie Santé-Bien Être, Franc-maçonnerie… On a changé les meubles, il y avait déjà la mezzanine. Tout un réseau de copines nous ont aidées. Il fallait faire vite car il fallait commencer.
La librairie, ça ne me faisait pas peur car la gestion de projet, je connaissais. Mais la compta, pas du tout. Jusques là je me disais : « Jamais je ferai ça (de la compta), jamais j’aurai ma boîte… » La gestion, c’est plus de la moitié du boulot. On a bossé comme des dingues, la première année…
Michèle : Vous vous êtes constitué un fond avec quelle aide ?
Christine : Avec nos cultures qui étaient assez complémentaires car moi j’avais plus une culture féministe et lesbienne et Catherine une culture générale et gay. Puis on a fait des recherches, on avait des catalogues. Pendant 3 ou 4 mois, on a fait des listes… Il y a un ou deux diffuseurs qui nous ont aidées. Et pour choisir dans les catalogues, c’est avec notre culture sinon laisse tomber. J’avais 48 ans : on ne fait pas une librairie à 20 ans. On a apporté notre bagage culturel, nos économies, notre argent et puis nos bagages de travail, professionnels, ce que l’on avait fait avant. Même si cela n’avait rien à voir du coup, entre ce que Catherine avait fait avant et moi, ça ne nous faisait pas peur.
Une chose que Catherine a très bien faite je trouve… Pour moi, c’était plus le lieu féministe et lesbien et Catherine, elle a tout de suite dit : « Il faut qu’on soit une vraie librairie par rapport aux éditeurs, par rapport au milieu du livre. On s’impose comme une vraie librairie et non pas comme une librairie associative. » On a tout de suite fait des rencontres, des expos et on a été connues assez vite dans le milieu professionnel. On écrit dans « Page » une revue professionnelle.
Une librairie « homo et féministe », ça avait posé des problèmes aux interlocuteurs. Pour l’ADEL qui est une association d’éditeurs d’aide aux librairies, ils ne nous ont pas aidées. Il y avait des réactions surprenantes : « Il va falloir s’imposer »… Pour les banques, homo et féministe = porno. Seul le Crédit coopératif nous a acceptées. Notre interlocuteur comprenait tout, connaissait la question des librairies, et avait une femme féministe. Toutes les autres banques nous ont refusé et ce n’est pas un hasard si c’est le Crédit coopératif qui nous a acceptées.
Catherine et Christine : Donc voilà le début c’est énormément de travail. Le projet de départ, on n’en a pas dévié, on a tenu le cap. On a adapté avec plus de littérature générale, mais la ligne est la même. Tenir le cap. Quand il y a un problème, il faut laisser le temps aux choses de s’installer, s’ancrer. On n’aurait jamais fait cela seules.
Il y a la problématique du commerce et puis de la librairie engagée. Tenir la ligne par rapport à ça et faire comprendre qu’on n’était pas, surtout par rapport aux féministes, la librairie d’une tendance. La question de l’ouverture, ça n’a pas été évident. Il y a eu des incompréhensions : il y avait des féministes qui disaient : « Vous êtes queer »… Puis les gens ont compris. Avec les invités il y a eu des sujets antagoniques mais pour nous c’est important de donner la parole. On est juste passeurs, quoi
Oristelle : C’est marrant parce que iXe, c’est un peu la même problématique. Enfin, vous, c’est un lieu public, les gens viennent. Mais le projet de iXe, c’est aussi d’alimenter le débat, de ne pas choisir une tendance. Dire : c’est intéressant, et puisqu’on en discute, discutons-en. Mais discutons-en sur pièces.
Christine : C’était un peu, aussi, la problématique de la Bibliothèque du féminisme.
Oristelle : On était très peu queer.
Christine : Après, c’est vrai que nous, personnellement, il y a des choses qu’on mettait un petit peu plus en avant. C’est normal. Comme on se disait entre nous : dans le fond, on fait ce qu’on veut. Au bout d’un moment, on se dit : Eh bien zut, on est chez nous!
Cathy : Justement, c’est l’avantage de ne pas travailler pour les autres.
Michèle : Des fois, dans le blog, on nous écrit : si vous continuez à dire ci, ou ça, je me désabonne. Je ne suis pas fonctionnaire. Je leur dis de se désabonner, c’est pas un problème, hein.
Christine : Après, c’est sûr qu’on a fait des erreurs… On a des points forts et des points faibles.
Catherine : C’est vrai que quand tu dis « militant engagé »… On est aussi une librairie. Même si on fait des débats, ce n’est pas un lieu associatif. On n’est pas un local, on n’est pas subventionnées pour vendre des livres. À chaque fois, il faut un peut rétablir, ajuster, tenir la ligne.
Christine : il y aussi celles qui… je dis « celles », parce que… Celles qui viennent déposer leur propre livre, et qui ne comprenaient pas qu’on prenne une marge. Ou alors, elles trouvaient que la marge, c’était… pfff ! On leur dit, bon, c’est tout mais de toute façon, on prend une marge.
Catherine : Il faut leur faire comprendre que sinon, on ne peut pas vivre. Le lieu n’existerait pas.
Christine : C’est pas clair pour tout le monde ; si on dit 35% de marge : 35% ! Ben oui, c’est l’usage. Et encore, c’est le commerce où il y a le moins de marge.
Cathy : Il y a quelque chose dans être militant qui est un moteur pour s’engager sur un projet. Mais il faudrait définir ce que ça représente par rapport à d’autres militantismes.
Christine : C’est pour ça que je dis qu’on n’est pas une librairie militante. C’est le problème que j’ai eu avec tous les groupes militants. Pour moi, militant, c’est faire partir d’un collectif. C’est à dire qu’on fait une action collective. On est reliée à un objectif à travers un groupe, des actions. Dans tous les groupes où j’ai été, par exemple, j’étais contre le salariat. Il y a un truc qui est antagonique. Or là, c’était un projet individuel. De deux individues qui ne sont rattachées à aucune structure. Et c’était un projet pour gagner sa vie, aussi. Il y avait les deux choses en même temps. Vraiment en même temps. Pour moi, militant, c’est quand même rattaché à une structure : il a des librairies militantes, rattachées à la Fédération anarchiste, etc… Donc, je dis qu’on est une librairie engagée. On fait des choses qui ne sont pas forcément pour gagner de l’argent immédiatement, on prend des livres en dépôt. Et puis on est un lieu public comme toutes les librairies. Il y a des gens qui viennent, pour qui c’est le premier pas, comme les jeunes lesbiennes, par exemple. L’autre jour, il y en a une qui est venue nous expliquer, comme ça : « J’avais 16 ans, je suis entrée et puis je suis repartie. » Donc, voilà, c’est aussi ce côté là. Et puis on s’est aperçu après qu’il y a dans ce quartier là (comme on nous a dit « Mais c’est un quartier familial, ici »), le côté visibilité. Et quand on a des retours positifs ça fait tellement de bien !
Michèle : Est-ce qu’en 8 ans, il y a eu des moments plus creux ? En matière de production et du coup, de votre activité.
Christine : En matière de production de romans lesbiens, oui. Depuis un an ou deux. Avant, avec ces maisons d’édition, on faisait des rencontres. Les maisons d’éditions lesbiennes, il en reste 2. Au départ, il y en avait… 3… 4… 5… 6. Les éditions Gaies et lesbiennes sont vendues. La Cerisaie a fermé, elle a vendu le fond. Il y a La Brise qui a fermé. Geneviève Pastre n’a plus rien publié… Il reste, en maisons d’éditions spécialisées, KTM et L’Engrenage. Après, le phénomène qu’on voit depuis quelques temps, c’est l’autoédition. Et ça, pour nous, c’est catastrophique.
Michèle : Et c’est uniquement du roman ?
Christine : Non, non. On a un pourcentage de sciences humaines extrêmement important par rapport aux librairies généralistes. Ça c’est clair. C’était à 36-37%, on en est à 40%. Ce qui est énorme. En terme de chiffre d’affaire. Il y a moins de poches, aussi, en sciences humaines, donc forcément. Bon, on n’a pas non plus de rayon Pratique, Voyages, Santé-Bien Être, Développement personnel… Moi, je parlais des romans et c’est ça que je trouve particulièrement inquiétant, les filles arrivent et disent : « Qu’est-ce qui est sorti ? » Eh bien, il n’y a rien qui est sorti. Depuis 2, 3 mois, il n’y a rien. Elles repartent. Il y a des filles qui n’achètent que des romans lesbiens.
Oristelle : Du roman lesbien, depuis la création de iXe, j’en ai bien reçu entre 10 et 15. Je les ai tous refusés, je suis désolée. Je les ai trouvés mièvres, fleur bleue, gnangnan.
Christine : De toute façon, une maison d’édition lesbienne en reçoit des tonnes, et des tonnes. Après, là dedans, c’est comme ailleurs, comme dans toutes les maisons d’édition généralistes. Mais bon. En sciences humaines, par contre, ça se maintient. Ça a peut-être augmenté. En essais féministes…
Cathy : Sur le genre ?
Christine : Depuis 2004, oui, ça a un petit peu augmenté. En essais lesbiens, il n’y en a pas assez. C’est le désert.
Oristelle : Il n’y en a pas assez parce que… Le genre, oui, les études et tout ça surtout. Mais sinon, il faut être gonflée, hein, pour soutenir ces thèses. Quand tu écris un essai, il faut que tu aies déjà la stature, la position d’autorité. Ou bien tu le fais dans le cadre d’une formation doctorale. Après, des goudous dans des positions d’autorité à l’université, il y en a.
Cathy : Mais des essais lesbiens, ça se vendrait ?
Christine : Bien sûr, des romans, des essais lesbiens.
Catherine : C’est une question d’échelle. C’est quand même pas des ventes…
Christine : Mais il y a des romans qui sont édités chez des grands éditeurs, qui sont vendus à 500 exemplaires et qui sont tirés à 2000 exemplaires, de toute façon. Il y en a plein. Ils savent très bien que ce ne sera pas des grosses ventes. Mais il y a un public. Seulement, tu ne tires pas à 10 000.
Oristelle : En effet, tu fais des petits tirages quand tu sors ce genre de choses. Beaucoup de livres de ces domaines sortent à 300 exemplaires. Et même des romans.
Christine : La crise commence maintenant, en 2011-2012 : crise du secteur avec les ventes Internet, les livres en ligne. D’ici cinq à dix ans, la moitié des librairies seront fermées.
Michèle : Entre les tablettes, et… Non, mais en attendant c’est bien parce que vous faites des rencontres.
Christine : On compense, oui. On fait beaucoup de ventes à l’extérieur. Dans les colloques, les festivals. Mais c’est quatre fois plus de boulot. Les gens ne se rendent pas compte.
Cathy : Est-ce que tu estimes que vous avez atteint certains de vos objectifs ?
Christine : Financièrement, non. Disons qu’au bout de quelques années, on s’est dit, non. Mais depuis un an ou deux, on peut dire que oui, on a atteint nos objectifs. Ça durera ce que ça durera, mais on est contentes de ce qu’on a fait. Il y a eu comme des paliers. On s’est rendu compte qu’on commençait à être de plus en plus connues. Même s’il y a encore plein de gens qui ne nous connaissent pas, de lesbiennes et de féministes qui ne nous connaissent pas, on a senti quand même aussi qu’il y en avait beaucoup qui nous disaient : « Mais tout le monde vous connaît. Je ne suis jamais venue mais on parle de vous tout le temps. ». Surtout chez les jeunes.
Michèle : Mais vous avez équilibré, au niveau financier? Pour me rassurer.
Catherine : Cette année, oui.
Christine : On y est arrivées parce que cette année, on ne s’est pas payées pendant quatre mois. Quand je te parle de la gestion, tout est verrouillé. C’est pour ça qu’on tient.
Catherine : Et d’ailleurs, il y a des trucs qui ont coulé à cause de ça, pour des problèmes de gestion.
Christine : Comme en librairie, les retours… Moi, ce que je trouve le plus dur, en librairie, c’est les retours. C’est épouvantable, d’avoir à retourner des livres qui n’ont pas bougé pendant deux, trois ans. Même si c’est des livres fondamentaux. Tu ne vas pas garder des livres pour faire tapisserie. On n’est pas un centre de doc, pour que les gens soient contents de les trouver là, mais ne l’achètent pas. Des livres de référence. C’est vrai qu’il y a beaucoup de gens qui viennent chez nous en étant persuadés qu’ils vont trouver une bibliothèque universelle du féminisme. Et que si on veut trouver un livre, là, rapidement, sans avoir à le commander… Et quelquefois, nous, on n’en a plus. Moi, ça me fend le cœur… Mais bon. J’ai appris. J’ai appris. Parce que c’est dur, ça. Pas des titres en particulier, mais… Que ce soit en romans, même, des romans que j’adore et que l’on a gardés, gardés… Ou même des romans récents. Et quand tu vois qu’au bout de deux ans ça n’a plus bougé.
Catherine : Après, c’est la question de l’équilibre. C’est à dire que tu montes un fond. Mais ça, c’est très dur à évaluer. C’est que justement, il y a des choses qui ne sortent pas beaucoup mais qu’il faut quand même garder. Alors, c’est là qu’il faut évaluer qu’est-ce que tu vas retourner.
Christine : Si ça tourne une fois pas an mais que c’est pile poil dans notre créneau, si c’est féministe, on le garde. Il y a des libraires qui diraient… Mais dans une librairie spécialisée, tu es obligée. Il y a aussi des bouquins plus politiques qu’on a aussi. On a pas mal de trucs autour de la question du racisme.
Catherine : C’est à dire qu’il faut arriver à trouver l’équilibre, quand tu es une librairie de fond, pour, justement financer ton fond. Et que ton fond ne te fasse pas couler, quoi.
Christine : Et pas un tréfonds, comme on nous a dit notre comptable pour nous obliger à retourner : c’est plus un fond, c’est un tréfonds. Et ça, c’est très difficile à financer.
Michèle : Et Oristelle, alors. Tu es devenue de plus en plus éditrice depuis que je te connais.
(RIRES) Tu as toujours aimé les livres ? Comment ça t'est arrivé?
Oristelle : Oui, j’ ai toujours aimé les livres. Je crois que ça m’est toujours arrivé. Enfin, le goût, le plaisir, c’est l’adolescence, en fait. C’est une époque, c’est un milieu. J’ai grandi en pension. Dans une famille pleine de mômes. Et voilà, la lecture… C’est une façon de s’isoler et puis de dialoguer avec d’autres qui sont pas là, dans ton entourage immédiat, à te casser les pieds, à te dire « On fait ci, on fait ça, on joue à ci, on joue à ça ». C’est vrai, ce qu’on dit, oui, la littérature d’évasion, c’en est une, effectivement.
• Tu étais littéraire quand tu faisais tes études ?
• Oui, j’ai passé mon bac philo…
• Parce que iXe, c’est de l‘algèbre.
• Non, j’y connais rien, à l’algèbre. C’est juste les mots. C’est par association d’idées, en réalité. Mais ça, je l’ai raconté à tout le monde, on ne le raconte pas forcément au public. C’est parti de nos frustrations, à Hélène, à moi et à Dominique, de la collection Bibliothèque du féminisme où non seulement en bossait gratuitement mais en plus on bossait sans que personne le sache. On éditait chez l’Harmattan, la collection, elle avait son nom, mais nous, on était vraiment les roues de la charrette, absolument essentielles à faire tourner tout ça, mais personne ne nous connaissait.
Christine : Je peux faire une petite parenthèse ? Je me souviens que la première fois qu’on a invité la collection Bibliothèque du féminisme, malencontreusement, j’ai présenté « publié chez l’Harmattan », et Hélène : « À la Bibliothèque du féminisme ! ». Au moins ça, quoi!
Oristelle : Pas nos noms, mais au moins ça. Et d’ailleurs, dans les bibliographies, ça m’agace encore quand je vois : « L’Harmattan ». Il n’y a pas le nom de la collection, juste le titre. On n’est pas des inconnues absolues mais quand même.
Michèle : Par rapport à l’Harmattan ? Par rapport au public ?
Oristelle : Par rapport au milieu. Donc iXe, c’est parti d’une boutade. J’ai dit comme ça, on va l’appeler « X » parce que c’est l’anonymat, on le revendique. C’est exactement ce que nous sommes. C’est parti de là quand j’ai effectivement créé iXe. Je sais pas, c’est polysémique, comme lettre. Ça veut dire énormément de choses. Donc, je me suis dit que j‘allais jouer de ça. Dans une espèce de moment de lyrisme algébrique et parce que j’était très en forme, parce que c’est « X » et aussi, l‘inconnue de l’équation… Au fond, c’est une belle métaphore pour le féminin, le continent noir…Et parce que ça rejoignait bien, enfin m’a-t-il semblé, les questions d’aujourd’hui sur le trans, le bi, le queer, qu’est-ce qu’on est, à partir de quoi, comment on se fabrique… À partir de ce chromosome… Voilà. Et après, j’ai joué à dériver le nom des collections de l‘histoire de l‘algèbre. À ce jour, la plus belle réussite de iXe, c’est son nom. C’est son nom, le nom des collections. Ça intrique, les gens ont envie d’en parler. Ça amuse, aussi. Après, iXe, je lai quand même créée sur quelque chose qui ressemble à une impulsion. C’est pas un choix longuement médité. On y avait pensé avec Hélène mais brusquement, Hélène n’était plus là. C’était… l’idée de me dire :comment, je vais faire ? quoi. Et c’est un peu l’idée de dire : « Bon, écoute, on continue à faire ce qu’on sait faire et on le fait autrement. » Mais c’est un… enfn, une impulsion… Je ne l’ai pas fait comme ça du jour au lendemain. Mais c’est une idée qui est venue très vite, et je n’en ai pas trouvé de meilleure, en réalité. Je ne sais pas si on aurait beaucoup cherché.
Michèle : Est-ce que tu as pris des cours de comptabiité ?
• Non, je ne l’ai pas fait. J’ai pris un comptable. C’est la première chose que j’ai faite.
Cathy : Elles vont t’en donner, des cours !
• Oui, Christine insiste beaucoup là-dessus. Chaque fois que je fais une facture, ça ne va pas. Pourtant, la dernière, je me suis appliquée. Je l’ai faite de toutes les couleurs.
Christine : Et puis il y a tout le rapport à la fabrication aussi. Tu connaissais déjà ?
• Oui, je connaissais. Parce que quand même, ça fait très très longtemps que je suis plus ou moins dans l’édition. J’ai travaillé chez Calmann-Lévy à un époque, j’ai travaillé au Seuil. Je suis traductrice. J’ai travaillé à Histoires d’Elles. C’est là, d’ailleurs, le peu que j’ai appris : les corrections, un peu les histoires de mise en page…
Michèle : Dans les années 70, on a tellement essayé de choses de façon soi-disant militante, mais aussi… On créait des journaux, qui duraient 2 ou 3 ans, mais on rentrait complètement dans le truc de la fabrication. On apprenait énormément de choses.
• C’est à Histoires d’Elles que j’ai appris le plus de choses concrètes, matérielles. Et d’ailleurs, c’est grâce à Histoires d’Elles qu’après, j’ai pu travailler chez Calmann. Et après… Et après, il y Carine. Carine qui, quand je lui ai parlé de ça, m’a dit : « Mais c’est hyper fastoche de faire de l’édition ! il y a des logiciels de mise en page, je vais te montrer, tu verras. » Effectivement, c’est pas très sorcier. Enfin, de faire une mise en page qui est assez soignée. C’est pas sorcier. Mais le truc premier, c’est de s’engager sur un livre. De dire : « Voilà, je prends ce livre ».
• Oristelle : Le premier, c’est pareil… Je suis allée au colloque Wittig à Lyon et… C’est là que j’ai rencontré Suzette, d’ailleurs, pour de vrai, que je connaissais un peu. Et Suzette connaissait très bien Sandy. Je lui avais parlé, un peu, de mon idée. Elle aussi, elle a fait de l’édition : elle était à Masques, elle était à Vlasta. Donc, ça lui plaisait. Elle m’a présenté Sandy et Sandy m’a dit : « Le chantier littéraire c'est pour toi ». J’avais rien fait. Je me suis dit : quand même…
Michèle : Donc, ça t’a donné l’idée de passer à l‘acte.
• Non, j’avais déjà… j’étais en train de créer iXe. Elle n’existait pas vraiment mais voilà, les démarches étaient engagée, j’avais réfléchi.
Cathy : Tu avais déjà lu des manuscrits ?
• Non, non. Je voulais poursuivre le Bibliothèque du féminisme. C’est à dire publier des essais… de gens qui en principe ne sont pas publiés, d’ailleurs, parce que c’est des jeunes chercheurs. Ou parce que ce sont des recueils d’article, comme Guillaumin, Mathieu. Et en même temps, j’ai eu envie de me faire plus plaisir que ça et d’ouvrir à la fiction. Je n’avais absolument pas mesuré non plus le travail. Au début, je me disais : « Je vais faire petit. Il faut exister. Donc, 5, 6 livres par an. » Ce qui est déjà bien, publier 5, 6 livres par an. Et je n’ai pas pensé, effectivement, au nerf de la guerre de l’édition. Et je me suis dit : « Là, il y a le réseau. Il y a des adresses, des groupes. » Il a des gens qui, contrairement à ce que je dis, me connaissent un peu. Qui toute suite ont soutenu l’idée. Mais ça ne suffit pas. Je ne peux pas penser que les 300 personnes de la liste vont systématiquement acheter mes livres.
Cathy : Chacun de tes livres.
• Et ça, c’est difficile. Mais c’est vrai que je l’ai créée pas de façon totalement, totalement… bêtassou, quoi. C’est à dire 1 : j’ai pris un comptable et 2 : j’ai trouvé un distributeur en disant : « Non, j’irai pas faire les paquets poste ou sillonner la France en voiture. Je ne peux pas tout faire. »
Christine : C’est infaisable.
• J’ai vu au Salon des éditeurs indépendants, il y en qui font tout. Il y en a beaucoup qui sont autodiffusés, autodistribués.
Christine : Je pense que pour les petits éditeurs, il faut s’autodistribuer.
Cathy : Distribuer ou diffuser ?
Christine : Les deux. En général. Je comprends aussi que l’aspect matériel, la distribution, ça n’a aucun intérêt.
Oristelle : Moi, quand j’ai créé iXe… C’est peut-être ça, c’est peut-être une erreur. Je n’ai pas assez de recul. Mais je suis vraiment toute seule, en fait. C’est à dire… J’ai des copines qui m’aident, enfin… Qui m’aident sur le choix des livres, qui m’aident à faire des trucs. Mais la responsabilité, le travail concret, c’est vraiment mes épaules. Et alors là, je me suis dit : « Non, je ne peux pas ». Je ne suis ni deux ni trois.
Christine : Je comprends tout à fait. Parce que moi, ayant fait de la distribution…
• Financièrement…
Michèle : Je comprends complètement ce que tu veux dire. Moi, j’ai l’expérience des petites maisons d’édition de la fin des années 70. Puisque j’ai travaillé chez Tierce et que effectivement, Françoise Pasquier, trouvait que… elle avait fait tous le lancement de départ et que là, progressivement il fallait passer à autre chose. Pas juste une distribution… Mais au départ, c’est vrai qu’elle a sorti quelques livres et avec ces quelques livres, malgré tout, elle a pris sa bagnole et… Après, elle m’a embauchée pour que je fasse, avec ma bagnole, la même chose. Parce qu’on savait qu’on n’avait pas la force d’avoir un diffuseur.
Christine : Je sais aussi que les éditions Gaies et lesbiennes et La Cerisaie se sont cassé la gueule après avoir pris un distributeur. Il y a eu d’autres raisons aussi, il n’y a pas qu’un facteur… C’est une question de trésorerie. Quand tu distribues toi-même, tes rentrées d’argent se font pratiquement immédiatement. Dans les 2 mois, tu es sûre d’avoir ton chèque. Sinon, tu attends 6 mois.
Catherine : Plus le prélèvement.
Oristelle : 50%… 50 à 60%… Et le distributeur, ça se rajoute.
Christine : En plus, le fait que tu te diffuses toi-même, c’est important parce que les petites maisons d’édition, vu tout ce que les diffuseurs ont à diffuser…
Michèle : Oui, tu passes dans les pertes et profits.
Oristelle : Après, il y a l‘âge, et il y a les besoins. Si j’ai lancé la maison, c’est parce que j’avais l’argent. Brusquement, j’avais de l’argent. Donc, je me suis dit : « Bon, l’important, dans l’immédiat, pour moi… l’objectif immédiat, c’est pas de gagner ma vie avec la maison. » À terme, oui. Mais dans l’immédiat, le plus important, c’est d’exister, de sortir suffisamment de livres et donc, de dégager… D’avoir le temps pour les faire et d’en faire assez. Et comme j’ai l’âge que j’ai, en effet, je me dis que j’ai intérêt à le faire vite, le catalogue.
Catherine : C’est comme nous. On paye un coursier. Mais il y a des libraires qui vont chercher les livres. Physiquement. Des libraires de notre taille, en général, il y en a plein qui n’ont pas de coursier. On s’est dit : Attends, plutôt que d’aller tous les matins faire le tour des trucs, on préfère organiser les rencontres. C’est un choix.
Oristelle : Parce que déjà, vous travaillez beaucoup.
Michèle : Bon, mais… Je suis assez d’accord avec Christine. Ça a toujours été compliqué. Ça a toujours été difficile, et des entre deux. Il se trouve que dans les années 70, on avait réussi à créer le distributeur qui s’appelait Distique, qui faisait tous les petits éditeurs à un bon prix. On avait le retour financier le mois d’après, contrairement, apparemment, à ce que tu dis. Franchement, moi, quand je prenais la voiture et que j’allais présenter les livres chez les libraires, le mois d’après, ça se concrétisait dans les comptes. Donc, c’était aussi un engagement de leur (les distributeurs) part, de pratiquer comme ça. Et puis petit à petit… Je sais pas, après 81, donc vers 83, 84, on a réussi à mettre sur pied un système de diffusion Paris et province. C’est à dire avec différents éditeurs, toujours pareil. Il y avait Verdier, Solin, des gens comme ça. Il y en avait 25, à peu près. Et ça, ça a donné un peu d’air. Mais c’était au bout de presque dix ans d’édition. C’était impossible à faire tout de suite.
Oristelle : Quand on rentre dans le milieu, pour être plus précise et pratique, les gens sont dans une période où on sent que ça va bouger. C’est vrai, on me l’a dit dès le départ et puis je l’avais un peu pressenti, que les diffuseurs distributeurs de taille moyenne ou petite ont un trop grand catalogue d’éditeurs, maintenant. Et pas assez de représentants. La structure ne peut pas suivre. Et puis en plus, ils ont un catalogue trop diversifié. Moi, je me demande comment font les représentants. Je pense qu’il y en a, quand même, qui passent un peu à la trappe. Après, il y aussi les groupements de petits éditeurs, qui font une espèce de plateforme de livres. Quelquefois, je suis tentée, quand j’ai tous ces mauvais retours de libraires, je suis tentée…
Michèle : Alors, il faut faire des paquets. C’est ça le problème.
• Être vraiment diffusé, c’est entrer dans ces structures. Je vais me discipliner, je vais y arriver. Mais là, pour le moment, j’ai envie de faire les livres et puis j’ai envie qu’ils sortent. C’est à dire que je ne travaille pas du tout en amont. Ça, c’est une des choses que je suis en train d’apprendre. Ça serait bien, par exemple, que j’envoie à Catherine les épreuves deux mois avant. Alors que moi, quand le livre est sur épreuves, c’est qu’il sort.
Michèle : Alors, Oristelle, est-ce que tu as envie de publier des livres qui sortent de la question du féminisme, du genre, etc ?
• Oui. Si c’est une question, d’envie, oui. Franchement. Après, je pense que je n’ai pas intérêt, pour une question de temps, de forces, d’énergie… Je suis loin de ne lire que des livres féministes. Quelquefois, tu pourrais te dire : « J’ai envie d’éditer tous les livres que j’aime ». Ce serait même l’idéal. De créer une espèce de bibliothèque… Mais non, je ne le ferai pas. Je vais rester dans ce créneau. Mais ouvrir à la fiction, c’est ça, la porte. Je devrais publier Mireille Best en mars, et puis il y a une fiction d’Isabelle Auricoste, et puis une fiction d’Éliane Viennot, qui est plus légère que les autres. Mais les fictions que j’ai retenues sont assez sombres. C’est vrai qu’on peut tomber sur des écrivains vraiment intéressants… (À suivre, pas fini tout à fait de décrypter).
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